Labels : les pros s'investissent mais s'interrogent
Trop de labels ne sont pas assez mis en valeur auprès des consommateurs. Une table ronde organisée au lycée horticole de Saint-Germain-en-Laye (78), en juin, a montré combien la production a adopté ces marques de distinction tout en se demandant si les retombées sont à la hauteur des engagements.
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Dans le cadre de son programme Pass'Filière Horti-Pépi (voir encadré), la région Île-de-France organise chaque année un comité de filière qui a eu lieu cette année, début juin, au lycée horticole de Saint-Germain-en-Laye. Cette matinée de travail s'est conclue par une table ronde sur le thème : « Quels labels, quelles marques, pour quels marchés ? » Réunissant deux producteurs, Régis Benoist, horticulteur (Faremoutiers, 77) et Laurent Chatelain, pépiniériste (Le Thillay, 77), Jérôme Kohn, du Centre régional de valorisation et d'innovation agricole et alimentaire (Cervia), et Patrick Abadie, responsable qualité et approvisionnement végétaux pour l'enseigne Truffaut et secrétaire d'Excellence végétale (association qui gère le Label Rouge pour les végétaux d'ornement), elle a été l'occasion de mettre en évidence le travail réalisé par les producteurs sur le terrain pour profiter des opportunités offertes par les marques et labels pour se démarquer par la qualité, mais aussi toutes les limites du système. Le pléthore de signes de qualité a,en particulier, été montré du doigt
Des démarches nombreuses et chronophages
Laurent Chatelain a présenté la longue liste des démarches de qualité dans lesquelles son entreprise a été impliquée. « La première démarche de labellisation a été ISO 9000. Nous avons suivi toutes les étapes jusqu'au stade des audits internes. Ceci nous a permis de bien structurer notre société. Mais à ce niveau, nous avons décidé de ne pas poursuivre car cela devenait trop complexe à gérer et très chronophage. En 2006, la certification environnementale des entreprises a commencé à devenir un critère important pour les réponses aux marchés publics. Nous avons opté pour le label international MPS, mieux adapté à notre métier et plus simple en termes de gestion. Nous sommes certifiés MPS A : il faut 70 points pour l'obtenir, nous en avons 89. Puis la marque régionale est arrivée. Nous y trouvions un intérêt pour la vente directe. En 2015, le label national environnemental Plante Bleue est sorti. La mise en place a coûté entre 10 000 et 15 000 euros, sans compter le temps passé. Ont suivi Fleurs de France et Végétal local. Ce dernier permet, je pense, une vraie différenciation. Nous devrions être labellisés en octobre 2016. Enfin, notre établissement est membre du groupe de travail pour la création d'un Label Rouge pour les arbres fruitiers, avec Bruno Picard (Pépinière de l'Orme, à Montferrat, 77) pour la région Île-de-France... »
De son côté, Régis Benoist s'est engagé dans la démarche Label Rouge pour le géranium, réunissant producteurs et distributeurs, en mars 2013. « L'idée est d'établir une liste de plantes pouvant bénéficier du label, en travaillant, entre autres, avec un panel de consommateurs. Nous avons établi un cahier des charges qui est aujourd'hui dans les mains de l'Institut national des appellations d'origine (INAO), organisme qui gère le label. On peut espérer voir les premiers géraniums sous Label Rouge commercialisés au printemps 2017. » L'autre label sur lequel l'exploitation a travaillé est Plante Bleue. La démarche environnementale est née il y a des années, en 1997. « Nous avons été à l'époque les premiers à travailler en protection biologique intégrée (PBI). Puis nous avons avancé sur le recyclage des eaux d'arrosage. Plante Bleue a permis d'aller plus loin, montrant par exemple nos lacunes sur le recyclage des déchets. Nous nous sommes mis à les trier, à les envoyer en centre de retraitement. Sur le volet social, nous avions un peu anticipé. »
Se différencier, surtout des producteurs étrangers
L'objectif est la reconnaissance du savoir-faire des entreprises. « Avec toutes ces démarches, nous souhaitons faire reconnaître le métier et nous différencier, surtout vis-à-vis des concurrents étrangers, explique Laurent Chatelain. J'ai été attaché à la marque régionale dès le début ; elle permet de différencier la production du négoce et engage sur différents aspects comme la production et l'environnement. Elle identifie une action sur la région. Avec Plante Bleue, l'idée est d'être reconnus sur les marchés publics à l'échelle nationale. J'en attends beaucoup. Enfin, pour Végétal local, la différenciation se fait sur la génétique. Cette démarche est déjà engagée dans bon nombre de pays européens, notamment en Allemagne. » Sur le cheminement plus spécifique du Label Rouge, Régis Benoist vise la mise en valeur par la qualité : « L'objectif est de mieux valoriser les végétaux. Il faut arrêter d'avoir des produits non qualitatifs sur le marché. »
Des efforts pas assez reconnus par les acheteurs
Mais à l'arrivée, l'objectif est-il atteint ? Pas vraiment, si l'on en croit les intervenants. « Quand je fais le bilan de tous ces labels, aujourd'hui, je suis assez déçu, explique Laurent Chatelain. Ils n'apportent finalement pas les résultats attendus. Pour citer un exemple, les arbres et les arbustes plantés ici, au lycée horticole de Saint-Germain-en-Laye, proviennent tous des Pays-Bas. C'est inacceptable pour un site public qui forme les derniers BTS "productions horticoles" d'Île-de-France et qui bénéficie d'aides régionales pour sa réhabilitation. C'est montrer aux élèves que lorsqu'ils exerceront leur métier, on ne leur achètera même pas leurs végétaux ! Ces labels ne sont pas assez reconnus et pourtant ils demandent un certain nombre d'efforts. Pour bénéficier du label Plantes d'Île-de-France, il faut être engagé dans l'expérimentation, être dans un club de PBI ; ce n'est pas facile, nous avons dû faire des efforts et nous engager dans des axes de progrès. Il y a un coût et pas suffisamment de retour. » Un point de vue partagé par Régis Benoist, qui estime que « ces procédés ne sont pas assez relayés par la distribution et pas assez mis en valeur auprès du consommateur ».
Télescopage dans les rangs des garanties d'origine
Globalement, lors de la matinée, la principale raison invoquée pour expliquer les maigres apports des labels est leur nombre jugé trop important. Et Jérôme Kohn a été particulièrement clair sur le sujet : « Je suis assez effrayé de voir le nombre de labels qui se développent sur la base de signes distinctifs de qualité qui existaient déjà et qui ne sont que de pâles copies. » Pour lui, c'est essentiellement sur les marques de distinction garantissant les origines des produits que les problèmes se posent, désignant en filigrane Fleurs de France qui vient en concurrence des labels régionaux, en particulier Plantes d'Île-de-France, qui a, avant tout, pour objectif « d'être un lien fort entre les professionnels de la filière et l'ensemble des acteurs avec qui ils peuvent être en rapport. Elle vise à fédérer autour d'une démarche collective et à identifier les cultures régionales pour envisager tous les choix de débouchés qui peuvent se présenter ». La marque rassemble aujourd'hui 23 entreprises qui, sur leurs points de vente, peuvent écouler jusqu'à 80 % de production locale. Le Cervia s'occupant en premier lieu de denrées comestibles et étant en veille permanente des tendances de consommation, Jérôme Kohn assure vouloir trouver les ressorts menant au « locaflorisme » de la même manière que le marché alimentaire a été marqué par le « locavorisme ».
« Sachant que le but n'est pas uniquement de vendre une plante produite en Île-de-France, mais aussi une plante qui a une histoire à raconter. Il faut pour cela que tout le monde se mette autour de la table. Nous l'avons fait et les conditions permettant de bénéficier des clés du succès constaté dans l'alimentaire ont été posées. C'est cette pratique qui a abouti à la mise en oeuvre du label. Le Cervia n'est pas le seul acteur dans ce dossier, il est appuyé par les chambres d'agriculture, par exemple. Il faut rappeler aussi l'enjeu que représente la démarche : l'Île-de-France constitue un bassin de production où les acteurs sont peu nombreux, mais avec un volume important. »
La multiplication des distinctions est pour l'intervenant un frein au succès de cette démarche. « Et le problème du pléthore de labels ne se pose pas que pour Plantes d'Île-de-France. La Basse-Normandie en avait créé un sans financement, uniquement à partir des subsides des adhérents, l'Evidence Verte. Le fait que Fleurs de France vienne se surajouter sans tenir compte de ces marques régionales commence à semer un certain désordre. »
Pour Truffaut, ça marche, sous certaines conditions
Mais tout n'est pas perdu pour autant. D'ailleurs, Laurent Chatelain a été clair : « J'y crois quand même. Concernant les marchés publics de la région, la marque Île-de-France doit nous permettre de nous imposer. » Et si les producteurs ont le sentiment que la ditribution ne joue pas assez le jeu, Patrick Abadie, n'engageant bien sûr que son enseigne, clame haut et fort sa volonté d'accentuer la mise en avant, même si c'est sous condition : « Je reste enthousiaste vis-à-vis des labels que notre enseigne souhaite promouvoir. Pour que cela fonctionne, il faut, bien sûr, un cahier des charges contrôlé par une partie tierce, une référence officielle, et une identité visuelle. Si ces trois conditions sont réunies, ça marche. Oui, il y a trop de labels, qui n'ont souvent pas de cahier des charges clairs, qui provoquent la défiance du consommateur. Mais nous avons décidé de travailler sur plusieurs signes de qualité : le Label Rouge, les garanties d'origine Fleurs de France et les labels régionaux, et enfin les certifications environnementales AB et Plante Bleue. L'intérêt de nos clients aujourd'hui, ce n'est pas tant le prix. De 60 à 70 % de notre clientèle est composée de femmes qui ont besoin d'être séduites. Nous leur parlons de gamme et de qualité, avant de s'intéresser aux prix. Nous cherchons à promouvoir le végétal, à lui donner de la valeur, à rassurer le consommateur. Un client qui n'est pas déçu revient. Par contre, le cahier des charges est primordial, et notre objectif, à terme, est que le distributeur en devienne l'opérateur et qu'il soit contrôlé. Parce que si certains points de vente commercialisent de la qualité sous Label Rouge mais que les produits meurent de soif, par exemple, la qualité ne sera plus au rendez-vous ! L'idéal, donc, serait que des contrôles puissent s'exercer sur les points de vente. Mais le seul dahlia, premier végétal d'ornement commercialisé sous Label Rouge, ne permettait pas de générer assez de marge pour organiser ces contrôles. Sans parler de la date limite de consommation (DLC). À cet effet, nous réfléchissonsà la mise en place de date de consommation recommandée, qui garantirait au client que les végétaux qu'il achète sont encore en bon état de fraîcheur. »
Quant à savoir si certains labels sont plus efficaces que d'autres, Laurent Chatelain a insisté sur la nécessité de réfléchir à une stratégie pour définir quel label utiliser pour quel type de marché. Fleurs de France ou Végétal local sont destinés à faire la différence sur les marchés publics alors que le label régional s'adresse plutôt à la vente directe. « Si nous proposons à tous une grappe de labels, le message est incompréhensible pour la cible. » La clé du problème réside certainement dans ces choix stratégiques.
Pascal Fayolle
Volontarisme Les producteurs sont majoritairement enthousiastes à l'idée de s'engager dans des démarches de labellisation. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
Identité Les labels régionaux sont de plus en plus nombreux. Mais quelle articulation avec Fleur de France ? PHOTO : ODILE MAILLARD
Reconnaissance Plante Bleue demande à être mieux mis en avant vu les investissements de temps et d'argent qu'il demande aux entreprises. PHOTO : VALÉRIE VIDRIL
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